#3 : Une application d'interprétation patrimoniale en situation de mobilité (AIPSM), c'est aujourd'hui...

Analyse d'un marché qui, ayant fêté ses dix ans d'existence, reste stable dans ses dysfonctionnements et dans la sous-exploitation de ses potentialités aujourd'hui confirmées.

En ce début d'année 2022, alors que les premières AIPSM ont dépassé le cap de la décennie, on pourrait penser que le marché a atteint une forme de maturité tant au niveau de l'offre que de la demande.


Vous nous voyez venir... Il n'en est rien !


Une offre "brouillonne"

Dans le premier article consacré aux AIPSM, nous nous attachions à détailler ce qu'elles ne sont pas... En réalité il aurait fallu employer la tournure "ce qu'elles ne devraient pas être". Force est de constater en effet que le paysage de ces applications si particulières est aujourd'hui bien chargé, pour ne pas dire saturé, d'édifices à l'architecture bancale, disgracieuse, non fonctionnelle, formant une ligne d'horizon peu avenante et pour le moins peu lisible du point de vue du visiteur (ce prospect tant sollicité).


Pour synthétiser, nous constatons que l'offre est aujourd'hui constituée de trois grandes familles d'applications :


    • Les applications dont l'interprétation patrimoniale ne constitue pas le cœur de la conception (que leur but initial ait été autre ou qu'elles tentent de courir plusieurs lièvres à la fois, elles ont été l'objet de l'article déjà évoqué)
    • Les applications en marque blanche, standardisées, ou assimilées (qui feront l'objet d'un article dédié).
    • Les applications dédiées, à un territoire, un site, une thématique (notre marotte, dont l'étude nécessitera plusieurs articles)


La résultante : une offre peu uniforme tant sur la forme que sur le fond avec une tendance certaine à la diffusion de modèles peu qualitatifs.


Une offre mal identifiée :

Considérant la diversité des approches, formes et concepts portés par les AIPSM aujourd'hui, et en jugeant une large proportion comme "non qualitative", il semble assez logique que cette offre soit aujourd'hui mal identifiée par le public, mais aussi par les acteurs territoriaux (ce qui motive, de fait, l'écriture de ces lignes...).


Nous le constatons au quotidien, les visiteurs ne cernent pas bien l'offre en AIPSM et les causes ne se limitent pas à sa seule hétérogénéité. Il faut déjà admettre qu'une offre presque entièrement dématérialisée peine à s'incarner et à se positionner face aux produits sinon concurrents au moins alternatifs (visites guidées, espaces muséographiques, guides papier, visites théâtralisées, certains escape games...). Il faut ensuite considérer que l'espace de découverte lui-même manque généralement, sinon de matérialité, au moins de limites géographiques facilement identifiables ou communément établies. Enfin, les plans de communication et dispositifs de promotion ô combien essentiels pour donner corps aux AIPSM sont généralement peu nombreux et/ou mal conçus, comme nous le verrons plus loin.


Dans la difficile appréhension de ces outils, les maîtres d'œuvre ne sont généralement pas en reste non plus. Nous vous renvoyons à nouveau à la lecture de l'article sur ce que les AIPSM ne sont pas. Y sont listés les nombreux défauts de compréhension dont sont victimes ces outils, provoquant en chaîne, des défauts de conception, d'appropriation, de promotion... et mettant donc à mal la réussite de ces projets quand ils ne les tuent pas directement dans l'œuf.


Une offre mal valorisée

Est-ce la cause ou la conséquence ? Force est de constater que les AIPSM sont généralement mal valorisées sur les différents canaux qui devraient logiquement "faire connaître" au visiteur, l'existence même de cette offre d'activité. Ces défauts sont aussi bien de nature quantitative que de nature qualitative.

Quantitativement : nous constatons que les relais de promotion généralement usités pour mettre en lumière une offre de visite, de découverte ludique, ou d'activité de pleine nature ne sont pas (ou très peu) actionnés par les territoires dans le cadre de leurs AIPSM. D'expérience, les raisons diffèrent et sont aussi variées que les parties prenantes aux projets. Retenons :


    • La méconnaissance de ces outils, qui sont parfois considérés comme leurs propres supports de communication (ibid). Il est pourtant d'autant plus nécessaire de multiplier les occasions de rencontre de ces offres avec leurs publics que les AIPSM n'ont généralement aucune incarnation physique in situ.
    • Un défaut d'appropriation de l'outil par l'un ou l'autre échelon qui ne l'a pas financé, n'a pas été intégré dans sa conception, n'y croit pas, ne le comprend pas, etc.
    • L'absence de budget communication adéquat. Ces outils étant largement financés par des subventions conditionnées à des lignes budgétaires spécifiques, la collectivité n'a pas pensé à (ou n'a pas les moyens de) provisionner suffisamment afin d'assurer l'édition de supports papier ou l'achat de communications digitales rémunérées.


Qualitativement : les dispositifs de communication quand ils existent ne remplissent pas leur rôle de manière efficiente... et pour causes :


    • Ils véhiculent le mauvais message. Encore une fois, il est compliqué de communiquer sur un outil que l'on ne comprend pas et parler d'une "application en réalité augmentée" par exemple, "ne dit rien", ne génère que peu d'enthousiasme et passe à côté de la promesse d'une expérience originale en entrainante (promesse tenue par l'AIPSM si tant est qu'elle soit bien conçue). Dans le cadre d'une application scénarisée, les supports de communication doivent être conçus comme l'introduction à l'expérience. Ce premier pas du visiteur dans l'univers narratif qui lui est proposé, doit être à la hauteur de l'enjeu : télécharger une AIPSM alors que dans 90% des cas, il ne sait pas de quoi il s'agit.
    • Ils utilisent les mauvais canaux. Les territoires ont souvent tendance à vouloir "lancer le dispositif" avec un événementiel qui au-delà des considérations politiques, doit générer des retombées presse. Le problème est double : la pratique "en groupe important" va à l'encontre même de l'usage et du concept d'AIPSM qui vise la découverte en autonomie¹ et les effets des retombées presses sont souvent négligeables, car le produit étant dédié à la pratique in situ, son téléchargement trop en amont n'est généralement pas synonyme de réelle utilisation. Enfin, les canaux les plus simples et efficaces que sont les hébergeurs et les restaurateurs du territoire sont souvent négligés.
    • Leur temporalité de diffusion est mauvaise. Il faut admettre que celle-ci est en fait très limitée. Si l'application est téléchargée trop en amont, l'utilisateur risque de la tester de son canapé et de la supprimer sans en entrevoir l'intérêt. À l'inverse, si l'utilisateur la télécharge trop tard, de multiples obstacles vont se faire jour : réseau défaillant, batterie déchargée, plus le temps nécessaire pour effectuer une expérience, etc. Le meilleur moment pour exposer l'utilisateur au message est donc celui où, préparant son séjour, sa journée ou sa demi-journée, il aura suffisamment de réseau pour télécharger l'application et les éventuels parcours de manière unitaire².

Pour clore cette rapide analyse des écueils de la valorisation des AIPSM, il faut aussi admettre que celle-ci est complexifiée dans le cas où l'on utilise une offre standardisée, qu'il s'agisse d'une app retoilettée pour le territoire³ ou d'un parcours créé dans une app générique émanant d'un éditeur privé⁴.

Une demande dans l'incertitude (dans l'incertitude d'une demande ?)

Au regard de l'état de l'art dans le domaine des AIPSM, nous nous devons de constater l'évidence : l'offre actuelle n'a rien d'homogène ou d'engageant pour le visiteur en quête d'une activité.

L'hétérogénéité aurait du sens si on la constatait au niveau des approches interprétatives, des scénarios de visite, des univers graphiques, bref des vecteurs propres à transmettre les valeurs intrinsèques du territoire en proposant de fait une expérience originale au visiteur. Malheureusement, dans l'offre en AIPSM, nous la retrouvons au niveau de la qualité des produits et des concepts (avec des produits qui ne sont pas des AIPSM, mais qui sont "vendus" comme tels") ce qui a clairement tendance à mettre à mal l'intérêt et la motivation du visiteur. Et de la motivation, il en faut pour sortir son portable pendant ses vacances en faisant fit des injonctions à la déconnexion !


Ces considérations sur l'état de l'offre, de sa communication, ou de son potentiel attractif, restent pourtant secondaires, ou du moins doivent être solutionnées pour surmonter l'écueil originel... celui de la demande ! Car aujourd'hui qui opère la démarche intellectuelle en quatre étapes, présentée ci-dessous lorsqu'il a programmé un séjour, quelle qu'en soit la durée ?


  • 1- "Je me rends sur ce territoire pour mon prochain séjour"
  • 2 - "Tiens, la collectivité propose-t-elle une application qui me permettrait de le découvrir ?"
  • 3 - "Je vais la télécharger, la parcourir et télécharger les contenus, car je ne suis pas certain de la couverture réseau"
  • 4 - "Une fois sur place j'ai réservé un créneau spécifique pour cette activité de visite"

Nous vous laissons vous faire votre opinion... Mais admettons, que si les réflexes d' "aller voir les avis sur Trip Advisor", "vérifier un horaire sur le site de l'OT" ou "suivre l'itinéraire sur Google Maps" sont à présent intégrés chez une large partie du public, il est urgent d'admettre que ce n'est pas le cas des AIPSM afin de ne pas fantasmer une demande ! La demande, en tant que commanditaires ou concepteurs, il nous faut l'initier, la guider, la conforter et la satisfaire pleinement si nous souhaitons la développer.


Mais alors, pourquoi s'évertuer dans cette voie ? Par ce que, les retours des utilisateurs, notamment des clientèles familles sont clairs : les expérience qualitatives plaisent, créent du lien avec le territoire, favorisent les renvois entre ses pôles, et le potentiel de ces outils est encore très loin d'être pleinement exploité...


Mais ça, c'est un autre sujet, une autre approche, un autre article !


    • 1. Seul, l'outil permet de visiter en totale liberté, en petit groupe il crée de l'émulation, mais si le groupe est trop important il devient moins pertinent, pire il s'immisce entre les membres du groupe, le fragmente et génère de la frustration.
    • 2. Le soir à l'hôtel grâce à un flyer, le matin au petit déjeuner conseillé par son hôte, au déjeuner via un sous-bock ou un set de table...
    • 3. Mais fonctionnellement et scénaristiquement identique à celle de son voisin sans fournir donc d'élément différenciant ou identitaire sur lequel appuyer la communication
    • 4. Comment pousser un primo-utilisateur à télécharger l'app puis le parcours en question avec une approche originale, porteuse et motivante en évitant de tomber dans l'approche "notice d'utilisation" ?

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